





Tirade provocatrice ?
Accueillant au sein de sa dernière émission littéraire en date l'écrivain Christine Angot, Frédéric Beigbeder a comme à son habitude égratigné le mouvement #MeToo. C'est en interrogeant l'intention du dernier livre de l'autrice, Une nuit sur commande, ainsi que l'entière carrière de l'autrice, principalement L'inceste, que le romancier, qui a été accusé d'agression sexuelle, a décoché quelques piques à l'encontre des militantes néoféministes.
Pas ouvertement, mais entre les lignes...
Ainsi tout en questionnant le statut de "victime" dans notre société actuelle, abordant la "victimisation" en littérature et son traitement médiatique, Frédéric Beigbeder a soutenu, face à Christine Angot, victime d'inceste des années durant (violée par son propre père, ce qu'elle relate dans de nombreuses autofictions) : "Ce n'est pas parce qu'on est une victime qu'on a du talent..."
Une tirade forcément polémique que l'auteur destine non pas à Christine Angot, dont il loue le talent d'écrivain, mais à la "littérature de témoignages", autrement dit les nombreux ouvrages, forts, relatant des violences vécues, ces dernières années - de Camille Kouchner (La familia grande) à Neige Sinno (Triste tigre).
Une phrase qui fait beaucoup réagir son interlocutrice...
"Ce n'est pas parce qu'on est une victime qu'on a du talent"
Comprendre : être une "victime" ne fait pas de vous un bon écrivain.
Assertion ambiguë que Frédéric Beigbeder assume comme étant provoc' - troublant volontiers la définition même du terme "victime" comme pour l'euphémiser dans le texte.
Ce à quoi Christine Angot, sa consœur des belles lettres, rétorque : "Il faut dire les choses autrement. Ce n'est parce qu'on est une victime qu'on parvient à décrire avec justesse le tableau complet de ce que l'on a vécu, et le monde dans lequel elle se produit cette violence"
Le regard de l'écrivain n'est pas juste celui de l'expérience vécue, suggère Angot. Il englobe de plus larges phénomènes.
"Toute la littérature de la 'victimisation' n'est pas forcément de la littérature, ce n'est pas parce qu'on est une victime qu'on a du talent ! c'est la vérité, on l'observe à travers tous ces témoignages... La littérature y est considérée comme un médicament, comme une thérapie. Or la littérature n'est pas un Xanax. Mais je suis conscient de dire un truc horrible !", poursuit de son côté Frédéric Beigbeder.
Echange au sein duquel l'autrice, membre de l'Académie Goncourt qui rend compte des difficultés éprouvées à libérer la parole dans son poignant documentaire Une famille, ajoute : "Si j'ai raconté l'inceste 20 ans avant #MeToo, je n'ai pas permis l'éclosion de cette parole à moi seule, c'est #MeToo lui même qui a permis ça"
"Est-ce que j'avais tout dit sur l'inceste à la fin des années 90 ? Non, j'avais écrit. Je voulais juste que ces sujets là rentrent dans la littérature"
"Je me suis exprimée en tant que moi, en tant que témoin de quelque chose. Je déteste les témoignages et j'évite d'en faire, mais il y a des moments où j'ai accepté de rejoindre cet élan. Même si j'ai confiance qu'en la littérature"
Frédéric Beigbeder et Christine Angot, une entente impossible ?
Ce n'est pas la première fois que l'auteur de 99 Francs décoche diverses saillies à propos du statut de "victime" depuis l'avènement du mouvement #MeToo. A Sonia Devillers déjà, au moment de la sortie de ses "Confessions" controversées, le romancier philosophait, au micro de France Inter : "pour être entendu, il faut être une victime, parce que nous sommes dans un mode de compétition victimaire. Moi aussi, je voulais faire partie de ce club et raconter mes épreuves passées"
"Moi aussi, j'ai eu des difficultés, moi aussi, j'éprouve une souffrance intérieure. 100 % des gens sont des victimes et on peut publier 70 millions de livres avec à chaque fois quelqu'un qui aura un truc à raconter. Je respecte la souffrance de chacun, mais je demande aussi qu'on me respecte autant que les autres"